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RÉSUMÉ DE LA THÈSE

Léon Bonnat (1833-1922) reçoit sa formation artistique en Espagne, puis dans l’atelier parisien du peintre Léon Cogniet, enfin à Rome. Ses premières grandes compositions religieuses lui apportent très tôt le succès, la renommée, les commandes de l’État, et ses scènes de genre italiennes ou orientalistes sont achetées par la clientèle privée.


Vers le milieu des années 1870, il se tourne définitivement vers la peinture de portrait dans laquelle il remporte un immense succès faisant de lui, selon ses contemporains, l’un des plus grands portraitistes de son époque. Il peint les portraits des représentants de la classe dirigeante et fortunée française ou étrangère, en particulier américaine, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il pratique ce genre jusqu’à la fin de ses jours, laissant derrière lui, au-delà des portraits d’amis artistes ou de membres de sa famille, une exceptionnelle « galerie » des personnalités du moment, aristocrates, hommes politiques, grands bourgeois français et étrangers, dont quelques œuvres « iconiques » qui marquent la mémoire collective.

"M. Léon Bonnat, dont les premières peintures religieuses, d’un réalisme plus qu’à demi espagnol, avaient tout de suite attiré l’attention, composait cette galerie historique que l’avenir consultera avec autant de confiance en la loyauté du Maître que d’admiration pour la décision et la netteté vigoureuse de son œil et de son pinceau".

André Michel, « Les Salons au Palais de l’Industrie de 1857 à 1897 », Gazette des Beaux-Arts, avril 1897, p. 275.

Position de thèse

La peinture « académique » de la seconde moitié du XIXe siècle, qualifiée également d’ « officielle », de « bourgeoise » ou de « pompier », a longtemps été négligée, laissée de côté, parfois méprisée. Les institutions artistiques, les chercheurs, les critiques, le grand public la redécouvrent depuis cinquante ans, et peut-être surtout au cours de ces vingt dernières années. Des travaux de recherche et des expositions ont ainsi été consacrés en France et à l’étranger, principalement aux États-Unis, à William Bouguereau, à Jean-Léon Gérôme, à Jean-Paul Laurens, à Carolus-Duran, à Alexandre Cabanel, à Fernand Cormon, etc, conduisant à une réévaluation du jugement porté sur les artistes et leurs œuvres. Mais Léon Bonnat, le grand portraitiste du dernier quart du XIXe siècle et du début du XXe, souvent qualifié de « portraitiste officiel » de la IIIe République, n’a pas bénéficié de cette redécouverte de la peinture académique. Peu de travaux de recherche lui ont été consacrés depuis la thèse d’Alisa Luxenberg, aux États-Unis, en 1991. Aucune présentation significative de ses œuvres n’a été organisée depuis l’exposition rétrospective du Salon des Artistes Français de 1924. La thèse sur « Léon Bonnat portraitiste » a pour objet de faire mieux connaître l’artiste et son œuvre dans sa composante principale, la peinture de portrait, et de permettre une réévaluation du jugement porté sur l’un et l’autre. Elle se compose du catalogue des portraits peints, dessinés et gravés (547 notices) et d’un essai introductif, synthèse des faits établis et des réflexions auxquelles ont conduit les travaux de recherche. Elle s’appuie principalement sur l’examen de sources manuscrites nombreuses, publiques ou privées, la plupart inédites, sur les écrits des contemporains de l’artiste et sur l’étude des œuvres elles-mêmes, de leur historique, du contexte de leur exécution, de leur réception critique, et de leur examen physique lorsqu’il a été possible. 

Léon Bonnat est né en 1833 dans une famille originaire de Voiron, en Isère, par son père, et de Bayonne par sa mère. Sa vocation artistique naît en Espagne, à Madrid où sa famille s’est installée, au contact de Vélasquez et de Ribera, mais aussi de Rembrandt et du Titien, qu’il découvre au musée du Prado. Il reçoit son premier enseignement artistique à l’Académie royale des beaux-arts San Fernando. Mais la mort de son père en 1853 place le jeune homme dans une situation matérielle difficile en faisant de lui le chef de famille. Il ne pourra poursuivre dans sa vocation initiale que grâce au soutien financier de sa ville natale de Bayonne et des amis de la famille qui lui permet de s’inscrire dans l’atelier du peintre parisien Léon Cogniet, puis, malgré son échec au Prix de Rome, de passer trois années dans la Ville éternelle, avant de s’installer définitivement à Paris. Ces débuts difficiles sont-ils à l’origine de l’ambition qui, incontestablement, l’animera toute sa vie ?

Le jeune artiste reçoit donc une formation académique, d’abord à Madrid auprès de José de Madrazo, puis de son fils Federico à l’Académie San Fernando, puis de Léon Cogniet à Paris, tous trois grands peintres, en particulier, de portraits, et semble s’intéresser, tôt, à ce genre. Il est également conseillé par Romain Julien à Bayonne, puis par Joseph-Nicolas Robert-Fleury à Paris… Mais c’est dans le « grand genre » de la peinture d’histoire, dans la peinture religieuse et les grandes compositions décoratives, « passage obligé » pour un artiste ambitieux, qu’il souhaite d’abord se faire un nom. C’est effectivement dans ce genre qu’il rencontre rapidement le succès, reçoit des récompenses, voit ses œuvres présentées au Salon achetées par l’État et bénéficie de commandes publiques. Couronnement de ce début de carrière réussi, - même si le jeune artiste considère que reconnaissance, récompenses et commandes ne viennent pas assez vite -, il reçoit en 1869 la médaille d’honneur du Salon pour son Assomption de la Vierge. Les scènes de genre italiennes, puis orientalistes, alors très à la mode et dans lesquelles il excelle, lui assurent par ailleurs une certaine aisance financière. Il définit et affirme dans la peinture religieuse, notamment dans le Christ en croix de 1874 destiné à la décoration du palais de justice de Paris, et, dans une moindre mesure, dans les scènes de genre, un style personnel, fondé sur le réalisme de la représentation des personnes et une exécution franche, énergique, puissante, qui sera également celui de ses portraits. La réussite est là, et la reconnaissance du public, de la critique, des autorités de l’État lui est acquise. 

Fort de cette réputation, il s’oriente au milieu des années 1870 vers la peinture de portrait, à laquelle il s’intéresse depuis ses débuts, intérêt que confirmera le choix des peintures et surtout des dessins anciens composant la collection qu’il constitue à partir des années 1880. La peinture de portrait est plus lucrative, et répond à ses ambitions. Pour s’imposer face aux innombrables portraitistes souhaitant bénéficier de l’engouement, en France comme à l’étranger, aux États-Unis notamment, pour le genre, il faut attirer l’attention du public et de la critique, les surprendre et les séduire en présentant, dans des grands tableaux qui attirent le regard, des modèles célèbres, dans leur réalité, dans leur vérité. Il atteint parfaitement cet objectif avec trois œuvres « fondatrices » : les portraits de la comédienne madame Pasca, en 1874, d’Adolphe Thiers, en 1876, de Victor Hugo en 1879. Leur immense succès auprès du public et de la critique fait durablement de lui l’un des portraitistes les plus renommés de son temps, les plus demandés, les plus chers. Les plus grandes personnalités de la classe dirigeante française, de l’aristocratie, de la bourgeoisie fortunée, en particulier de la grande bourgeoisie juive, du monde politique, et tout particulièrement les présidents de la République successifs, mais aussi les Américains fortunés de l’ « Âge d’or » le sollicitent pour obtenir un portrait de sa main. Léon Bonnat est incontestablement l’un des plus brillants représentants de la peinture de portrait de son temps, qu’il pratique pendant près de cinquante ans, jusqu’à ses derniers jours. Mais au début du XXe siècle, et encore plus à l’approche de la Première Guerre mondiale, la demande, française et étrangère, faiblira, la mode du portrait passera, la peinture académique sera rejetée et d’autres formes d’expression artistique prendront le dessus, d’autres artistes s’imposeront sur un marché qui a perdu de sa splendeur. À sa mort, en 1922, le nom de Bonnat tombe dans l’oubli.

Léon Bonnat est sans aucun doute un pur produit de l’Académisme. Il a reçu un enseignement académique à l’École de beaux-arts, a beaucoup copié les grands maîtres du passé, a vécu au contact et dans le respect des grands peintres français des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Mais est-il resté fidèle à son milieu artistique d’origine, à sa formation, à l’environnement dans lequel il a été formé et a vécu ? Ne s’est-il pas affranchi des méthodes de travail enseignées à l’École des beaux-arts, comme peut le laisser penser le travail direct sur la toile et donc l’absence totale de dessins préparatoires à ses grands portraits, en contradiction avec l’enseignement prodigué à l’École des beaux-arts, qui met en avant les études de dessin et en souligne l’importance dans le travail préalable à la peinture ? Le réalisme dont il fait preuve dans ses dernières grandes œuvres religieuses et qui seront sa marque personnelle dans la peinture de portraits l’éloigne également des dogmes de la formation académique. Sa technique, avec une touche visible, une peinture parfois épaisse, « maçonnée », ou posée en à-plats, l’usage de la couleur noire ou le traitement par petits coups de brosse parallèles pour créer les reliefs, obtenir le modelé des visages et des chairs, l’éloigne également de l’enseignement reçu. Doit-on considérer qu’il reste fidèle et attaché à la peinture académique, qu’il respecte son caractère « institutionnel », son histoire, son enseignement, mais que cet attachement, cette fidélité ne lui interdisent pas de définir son propre chemin, son propre style, à distance de l’académisme, fait de réalisme, de vérité dans la représentation individuelle, de simplicité de la composition, de puissance de l’exécution ? 

Mais la réussite de Bonnat dans la peinture de portrait, qui repose pour partie sur ses choix techniques faisant souvent de ses portraits des œuvres spectaculaires, ne s’explique-t-elle pas surtout par une étonnante capacité à découvrir le caractère particulier de chaque modèle derrière les traits du visage, derrière une attitude, un mouvement, à le révéler, à le distinguer, et à transmettre à chaque fois l’image d’une personnalité différente, à la traduire directement et vivement sur la toile grâce à des qualités de dessinateur qui lui sont reconnues par ses contemporains et une rapidité d’exécution qui peut surprendre ? N’est-ce pas cette compétence particulière, cette acuité psychologique et cette capacité à retranscrire sur la toile la vérité de cette perception, qui a fait l’immense succès de Bonnat dans ce genre ? Le caractère réaliste, vivant, surprenant des portraits de Bonnat en fait des œuvres particulières, aisément reconnaissables, et certains sont devenus des œuvres iconiques, présentes dans la mémoire collective. Que serait aujourd’hui Victor Hugo dans l’imaginaire collectif sans Bonnat ? L’artiste lui a donné un visage, une corporéité, immédiatement identifiable. Il en est de même d’Adolphe Thiers et, peut-être dans une moindre mesure, du président Jules Grévy, de Ferdinand de Lesseps, du cardinal Lavigerie, de Léon Gambetta, d’Alexandre Dumas fils, d’Ernest Renan… Les portraits réalisés par Bonnat ne sont-ils pas les seules représentations que le public connait et identifie de ces grandes personnalités, malgré l’existence, dans leur période de gloire, de la photographie, ou d’autres portraits peints ? Bonnat a bien laissé la « galerie historique » des grandes figures de son époque que certains critiques annonçaient alors qu’il était au sommet de sa gloire. Malheureusement le nom de Bonnat n’est pas associé, aujourd’hui, à ces représentations.

Bonnat a fait preuve d’une remarquable continuité dans sa peinture de portrait, dans sa conception et dans son exécution, tout au long de sa carrière de portraitiste. Le même réalisme dans la représentation du modèle, la même simplicité de la composition et la même vigueur dans l’exécution se retrouvent dans les portraits successifs. Cette continuité s’est retournée contre lui, certains critiques évoquant une « formule » qu’il aurait trouvée et répétée puisqu’elle lui avait apporté le succès. Aux yeux de ses détracteurs, cette « formule », cette monotonie auraient conduit à une certaine lassitude du public et de la critique et contribué à l’oubli dans lequel il tombe à sa mort. Pourtant l’artiste a parfois exploré des voies nouvelles dans la technique d’exécution, par curiosité, peut-être par envie de renouvellement, ou sous la contrainte de l’âge. Ne convient-il pas de reconnaître, dans un ensemble très homogène, ces recherches dans des directions nouvelles dans l’exécution des œuvres, aux résultats brillants, et qui le rapprochent des nouvelles écoles de l’impressionnisme, du pointillisme ? Il faut également apprécier la grande variété des portraits, petits et grands, du portrait « tête seule » au portrait « en pied », ces derniers, à la facture plus « classique » occultant souvent les petits, traités en général avec plus de liberté, de spontanéité. 

Le portrait occupe une place essentielle dans la carrière de Bonnat. Mais l’œuvre de l’artiste ne se réduit pas à ses portraits, et les peintures religieuses et les grandes compositions décoratives y tiennent une place importante. Elles ne sont, pas plus que les portraits les plus connus, attribuées par le grand public à l’artiste. Mais Bonnat n’est-il pas, en partie au moins, responsable de cette absence de reconnaissance, puisqu’il s’est éloigné de ce genre, dans lequel il avait défini son style et rencontré le succès, pour se tourner vers la peinture de portrait au milieu des années 1870, en ne laissant qu’un nombre très réduit d’œuvres ?

Enfin la carrière de Bonnat est indissociable de la place qu’il occupe dans la société et du rôle qu’il joue dans les institutions des beaux-arts et auprès de ses confrères artistes. Il considère sans doute que le travail de l’artiste et le service de l’État constituent un seul et même engagement au service de « l’Art ». Il reçoit les plus grands honneurs que la République puisse accorder à un artiste. Il est notamment élu à l’Académie des beaux-arts en 1881, élevé à la dignité de Grand’Croix de la Légion d’honneur en 1900, et nommé membre du Conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur en 1895 et le restera jusqu’à sa mort. Mais il exerce surtout, durablement, des fonctions importantes au service de l’État et des beaux-arts : il est vice-président, puis président en 1899 et jusqu’à sa mort du Conseil des Musées nationaux, il est nommé directeur de l’École des beaux-arts en 1905 et le restera également jusqu’à sa mort.

Que reste-t-il de Bonnat aujourd’hui ? Quelques grands portraits iconiques présents dans la mémoire collective, puissants, originaux, qui surprennent, qui frappent le grand public, mais auxquels le nom de l’artiste n’est, en général, pas associé, et qui masquent les très nombreux portraits de personnalités moins en vue, de la grande bourgeoisie française, des riches Américains de la côte Est, de ses amis et collègues peintres ou de sa famille. Le peintre s’est en réalité effacé derrière le grand collectionneur de peintures, sculptures, antiques et surtout de dessins anciens, qui a enrichi les collections de dessins du Louvre et permis à la Ville de Bayonne de disposer aujourd’hui de l’un des plus beaux musées de France, où ont été déposées, à sa demande, les collections léguées à sa mort aux Musées nationaux, auxquelles se sont ajoutés d’autres donations, legs ou dépôts. L’artiste s’est également effacé derrière l’homme public, l’ami des présidents de la République, des plus grandes personnalités de la classe dirigeante et de la grande bourgeoisie fortunée, l’homme d’influence des institutions touchant aux Beaux-Arts, l’homme au réseau de sociabilité particulièrement important, l’homme couvert d’honneurs, effacé enfin derrière le professeur apprécié des très nombreux élèves français et étrangers  qui se sont succédé dans son atelier privé, puis à l’École des beaux-arts. Finalement l’œuvre de l’artiste n’a-t-elle pas été occultée par la multitude de ses passions et de ses engagements dans le monde de l’art et au service de l’art ?

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